En finir avec le soupçon

par | 10 Jan 2019 | Finance Durable

« Borgen », suivi de « une femme de pouvoir », c’est le nom d’une cultissime série télévisée danoise du début des années 2010. Elle raconte l’exercice du pouvoir par une Première ministre centriste intègre, Birgitte Nyborg, dont on a souvent dit que le personnage avait été inspiré par l’inflexible Commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager.

« Borgen », suivi de « Thomas », c’est le nom du Directeur Général de la Danske Bank, qui a du démissionner le 19 septembre dernier, suite à l’ampleur du scandale de blanchiment d’argent frappant sa banque, de loin la plus importante d’un pays, le Danemark, pourtant réputé pour son faible niveau de corruption et son exigence en termes de transparence.

Entre 2007 et 2015 en effet, environ 200 milliards d’euros ont transité par la filiale de Danske Bank en Estonie via les comptes de 15.000 clients, non résidents originaires des pays de l’ex-URSS pour l’essentiel.

Mandaté par la banque pour enquêter sur ces mouvements, le cabinet Bruun & Hjejle, aidé d’anciens du renseignement danois, a analysé 12.000 documents, 8 millions d’e-mails, et le profil de 6.200 clients présentant des risques importants. Son audit a conclu au caractère « suspect » de la « vaste majorité des clients » même s’il a échoué à évaluer le montant des sommes d’origine douteuse avec précision.

S’il est emblématique, l’exemple n’est pas unique : rien qu’en 2018, une dizaine de banques européennes ont été sanctionnées pour des insuffisances, parfois gravissimes, en la matière.

Les contempteurs habituels de l’Europe trouveront là l’occasion de clouer au pilori le système bancaire européen … même s’il assure 75% des besoins de financement de l’économie de l’Union. D’autres, ou les mêmes, avec une mesure correspondant à leurs postures habituelles, fustigeront une Europe impuissante à réguler et surveiller son système bancaire.

L’Europe constitue pourtant le niveau adéquat pour lutter contre ce fléau du blanchiment.

La cinquième version de la directive dite « Anti Money Laundering » (AML) est entrée en vigueur en juillet dernier. Elle vise à renforcer les dispositifs en matière de lutte contre la fraude fiscale et le financement du terrorisme.

Mais le texte reste – c’était jusque là la préférence du Conseil de l’Union Européenne, qui représente les Etats-membres – une directive, avec les biais que peuvent provoquer des transpositions nationales différenciées, et quelquefois tardives.

Et surtout, comme l’a suggéré Jean-Claude Juncker dans son « discours annuel sur l’état de l’Union » en septembre dernier, l’Europe doit maintenant se doter d’une supervision unique, avec de réels pouvoirs de sanction dans la lutte anti-blanchiment. A défaut, et c’est moi qui l’ajoute, elle laissera ce rôle à des autorités nationales souvent mal équipées et quelquefois trop peu regardantes … voire à la Justice américaine.

C’est dans cet esprit que la Commission a fait des propositions ciblées, supposées nourrir les discussions en cours sur la proposition de révision des règlements instituant les autorités européennes de surveillance, proposition que la Commission avait adoptée en septembre 2017. Elles visent à « concentrer au sein de l’Autorité bancaire européenne (ABE) les compétences de lutte contre le blanchiment de capitaux en relation avec le secteur financier et de renforcer en conséquence le mandat de l’Agence Bancaire Européenne, de façon à garantir une surveillance efficace et cohérente des risques de blanchiment par l’ensemble des autorités compétentes, ainsi qu’une coopération et un partage d’informations entre celles-ci ».

Ces textes sont actuellement examinés par les « co-legislateurs » (Conseil de l’Union représentant les Etats, Parlement représentant les citoyens). Un vote est d’ailleurs prévu en Commission ECON aujourd’hui, jeudi 10 janvier.

C’est une question de souveraineté essentielle, sauf à vouloir laisser ce rôle à des autorités américaines volontiers extra-territoriale .

Ce sujet restera un des enjeux de la prochaine commission ECON, à condition d’envoyer au prochain Parlement des personnalités compétentes, et non des recalés des scrutins nationaux.


Iconographie : le hall d’accueil de la Danske Bank à Copenhague, Danemark © site web de la Danske