Nos « biens communs »

par | 15 Jan 2021 | Climat – Environnement

Le 11 janvier dernier, s’est tenu à Paris un One Planet Summit consacré à la biodiversité.

Alors, bien sûr, on peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Et nombre de mes amis « écolos » ne se sont pas privés d’ironiser sur l‘insuffisance de la réponse internationale au drame qui se joue au niveau mondial en termes de biodiversité !

La question de la bonne administration des biens communs a toujours été au cœur de la vie des hommes.

De la tragédie des biens communs …

Plutôt pessimiste sur le sujet, Aristote, dans le Livre III de la Politique écrivait déjà : « Ce qui est commun au plus grand nombre fait l’objet des soins les moins attentifs. L’homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui est commun. »

Le biologiste Garrett James Hardin, dans un article resté célèbre paru dans la revue Science en 1968, a même popularisé l’idée d’une « Tragédie des biens communs », (en anglais, « The Tragedy of the Commons » … sous-titré plus précisément « Tragedy of Freedom in a Commons »)

Prenant l’exemple de pâturages en accès libre, Hardin décrivait ainsi ce qui ne pouvait que déboucher sur un conflit entre l’intérêt individuel et le bien commun :  dans le contexte d’une compétition pour l’accès à une ressource limitée, la ressource commune est collectivement surexploitée, aboutissant à un résultat perdant-perdant.

Avant d’être un biologiste, Hardin était un fervent militant de la cause néomalthusienne. Son article visait surtout à dénoncer le mécanisme irrépressible qui pousserait les individus à se reproduire sans frein, jusqu’à détruire les ressources naturelles. Dans sa métaphore, les bêtes que les éleveurs rajoutent sans cesse au pâturage, ce sont aussi … les enfants de ces mêmes éleveurs, qui ponctionnent toujours plus les richesses communes.

Sa conclusion ? Pour éviter la destruction, il n’y a que deux solutions : soit diviser la ressource en parcelles possédées par des acteurs individuels, soit la faire gérer par une administration supérieure. C’est la propriété privée ou l’État.

L’impact de ce raisonnement a été immense dans le domaine de la microéconomie ou de l’économie des « externalités ». On s’est alors mis à étendre des logiques d’appropriation de biens communs (ressources forestières, bassins hydriques, terres agricoles, ressources marines …) par la privatisation ou la création de marchés de droits d’usage. Les droits à émission de carbone obéissent d’ailleurs à une logique similaire.

Appliquant ce raisonnement à la reproduction humaine, Hardin suggérait soit un contrôle de l’État sur la reproduction humaine, soit la création de « droits à enfanter » monétisables et échangeables. Cà n’engage que moi, mais pas que sympathique le bonhomme !

… à la propriété partagée

En réalité, le terme de « communs » recouvre tout autre chose : il désigne des institutions grâce auxquelles des communautés ont géré, et gèrent encore aujourd’hui, des ressources communes partout dans le monde, et souvent de façon très durable. Il peut s’agir de pâtures mais aussi de forêts, de champs, de tourbières, de zones humides… souvent indispensables à leur survie.

On pense à Abraham et Abimélek, scellant leur alliance sur l’usage de l’eau du puits de Beershéva, dans le chapitre 21 du récit de la Genèse …

C’est l’économiste Elinor Ostrom qui a le plus brillamment remis Hardin à sa juste place. Via le Workshop Political Theory and Political Analysis, fondé en 1973 avec son mari, elle a mené un grand travail d’observation et d’analyse de gestions des communs dans différentes parties du monde.

Utilisant des méthodes d’investigation issues de l’économie expérimentale et de la théorie des jeux, elle a mis en évidence que la gestion des communs passait par des arrangements constitutionnels (souvent informels) acceptés par les acteurs concernés. Elle soulignait également que les communs ne sont pas l’exploitation par tous et sans contrainte d’une ressource en accès libre mais une propriété partagée par des ayant-droits (« Governing the Commons », 1990).

La Banque de Suède lui a fait justice en lui décernant en 2009 son célèbre prix, faisant d’elle la première femme honorée de ce qu’on s’est habitué à désigner à juste titre le « Prix Nobel d’Économie ».

Loin du One Planet Summit ?

Pas tant que cela !

On peut ironiser sur la faiblesse de la réponse internationale à l’extinction de masse en cours. Mais on n’a rien trouvé de mieux à ce jour que de tenter d’organiser ensemble la gestion de leurs biens communs.

Alors, je veux voir le verre à moitié plein !


Iconographie : Berger gardant ses moutons, Biella, Italie, © Antonello Falcone