Supervision financière, le Pot au Noir

par | 2 Mar 2019 | Finance Durable

Le Pot au Noir désigne chez les marins une zone intertropicale où les navires à voile (surtout les plus lents d’entre eux) pouvaient rester encalminés plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans un climat malsain, avec des alternances de pluies diluviennes, de grains d’orage, de risées folles et de calme plat. Aux tourments physiques s’ajoutait un effet démoralisant d’impuissance face aux éléments.

L’expression correspond finalement assez bien à la question de la supervision financière en Europe.

Ne nous le cachons pas : le sujet est un peu austère. Pourtant, lorsqu’on voit les dommages qu’ont pu causer à la fin des années 2000 le laxisme et l’incompétence des autorités de supervision (la France constituant à cet égard une exception), on devrait s’y intéresser.

Il faut commencer par expliquer comment est aujourd’hui organisée la supervision financière en Europe. Et quand on aime l’Europe, il faut se faire aux acronymes.

Alors accrochez-vous !

Le Système européen de supervision financière (SESF), en anglais European System of Financial Supervision (ESFS) est le nom donné à l’architecture institutionnelle mise en place par l’Union Européenne à la suite de la crise financière de 2008.

Proposé en 2009, et s’appuyant sur les travaux et recommandations d’une commission présidée par Jacques de Larosière, l’ESFS a remplacé les 3 comités de superviseurs existant par 3 nouvelles autorités européennes de surveillance (European Supervisory Authority, ESA) :

  • l’Autorité bancaire européenne (European Banking Authority, EBA), succédant au Comité européen des superviseurs bancaires (Committee of European Banking Supervisors, CEBS) ; son siège actuel est à Londres jusqu’au retrait (probable) du Royaume-Uni de l’UE en mars 2019, date à laquelle l’agence doit déménager pour la tour Europlaza, dans le quartier de la Défense à Paris ;
  • l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority, ESMA), succédant au Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières (Committee of European Securities Regulators, CESR) ; l’ESMA siège rue de Grenelle, à Paris ;
  • l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (European Insurance and Occupational Pensions Authority, EIOPA), succédant au Comité européen des contrôleurs d’assurance et de pensions professionnelles (Committee of European Insurance and Occupational Pensions Supervisors, CEIOPS) ; l’EIOPA est basée à Francfort.

Ce cadre est complété par le Conseil européen du risque systémique (European Systemic Risk Board, ESRB), placé sous la responsabilité de la Banque Centrale Européenne, et dont le secrétariat est installé, sans surprise, à Francfort.

Dix ans après sa mise en place, ce n’est faire injure à personne que de tirer un bilan mitigé de ce bel édifice institutionnel : l’Union bancaire reste à finaliser, la CMU (Capital Markets Union, et j’arrête avec les acronymes, promis !) n’est nulle part, le marché de l’assurance reste domestique …

Le 20 septembre 2017, la Commission européenne a présenté un projet de règlement modifiant les règlements instituant les autorités européennes de supervision financière. Elle a en même temps proposé plusieurs règlements sectoriels permettant de renforcer la gouvernance, le financement et les pouvoirs des autorités de supervision européennes.

La proposition de révision des ESAs avait pour but de renforcer le rôle des autorités européennes de supervision, et notamment :

  • d’étendre les activités sous supervision directe, de l’ESMA ;
  • de réviser le mode de financement, avec une participation directe du secteur privé au budget des ESAs, mesure rapidement écartée par les co-législateurs, Conseil de l’Union Européenne d’une part, Parlement européen d’autre part ;
  • de réviser la gouvernance, avec le renforcement des pouvoirs du conseil d’administration, et une indépendance du Board of Supervisors.

En septembre 2018, suite à différents scandales de blanchiment, la Commission a apporté un amendement à sa proposition initiale, afin de confier à l’Autorité Bancaire Européenne de nouveaux pouvoirs en matière de lutte anti-blanchiment.

Les Traités européens confient au Conseil de l’Union Européenne et au Parlement européen le rôle de co-légiférer sur les propositions de la Commission.

Hors, les positions des deux Institutions sont clairement antagonistes :

  • le Conseil, sous la pression d’Etats membres jaloux de leurs prérogatives, a adopté sur ce sujet une approche extrêmement conservatrice : statu quo maintenu sur la gouvernance, pouvoirs de supervision de l’ESMA seulement étendu aux administrateurs d’indices critiques …
  • le rapport du Parlement, au contraire, sous l’impulsion des rapporteurs Pervenche Bérès et Othmar Karas, propose des mesures utiles, notamment en matière de gouvernance, y compris sur le sujet de la lutte anti-blanchiment …

Tout ceci ne présage pas d’une conclusion rapide des négociations … on a même vu le Luxembourg menacer de poursuivre la Commission européenne devant la Cour de Justice si le contrôle des mesures de sous-traitance des activités financières n’était pas supprimé ! Ambiance …

Ces questions ne seraient-elles pas plus politiques qu’on ne l’avait cru ? Ne mériteraient-elles pas une pédagogie minimum à l’adresse des citoyens ? La finance n’est-elle pas une affaire trop sérieuse pour être abandonnée aux seuls financiers ?

Mais ce ne sera pas un sujet du débat des européennes. Et c’est bien dommage !


Iconographie : la passerelle du Symphony of the seas © J. Urbach/20 minutes