Basel, DC

par | 6 Oct 2016 | Finance Durable

Je suis ici à Washington DC pour quelques jours, afin d’assister aux réunions annuelles de l’IIF et du FMI. C’est une excellente occasion pour parler de questions de réglementation avec certains de mes pairs et autres décideurs publics.

Dans mon vol United Airlines de Paris à Washington, j’étais assis à côté d’une femme sud-africaine vivant à San Diego. Je dois avouer que j’aime beaucoup parler avec des personnes inconnues, et j’essaie de le faire chaque fois que l’occasion s’en présente.

Cette femme était extrêmement charmante et intelligente, et pendant la majeure partie du voyage, nous avons parlé de tout et de rien : nos vies, nos familles, nos projets … Elle était la mère de trois enfants âgés de 7, 9 et 11 ans et avait rencontré son mari, un bijoutier, en Afrique du Sud et l’avait épousé. Puis, elle avait décidé de se concentrer pour un temps à l’éducation de leurs enfants, devenant ainsi une maman à plein temps.

À un moment, nous avons parlé d’armes à feu, et elle m’a expliqué tranquillement pourquoi ils en avaient à la maison et comment son mari et elle avaient formé leurs enfants à les utiliser, tout en leur apprenant à être malgré tout prudent avec (je rappelle que les enfants étaient âgés de 7, 9 et 11 ans…). Elle m’a assuré que ses enfants n’avaient pas accès pour le moment à ces armes, mais que, dès qu’ils seraient capables de les utiliser, ils y seraient autorisés. Elle m’a également expliqué comment, dans les pays où les armes à feu avaient été interdites pour le citoyen lambda, les honnêtes gens les avaient ramenées aux autorités, et comment la violence et les crimes avaient alors grandis, dans le même temps.

Je tiens à préciser à nouveau que cette femme m’apparaissait tout à fait intelligente, avisée, bien éduquée …

Mon objectif n’est pas ici de juger qui que ce soit, et je ne me permettrais pas de dire si ses idées étaient bonnes ou mauvaises. Même si je dois dire qu’elles s’avéraient de fait extrêmement déstabilisantes pour le citoyen européen que je suis.

Mais pourquoi je vous raconte cette histoire ?

Ici à Washington DC, nous nous apprêtons à parler essentiellement de sujets très importants qui se discutent en ce moment à Bâle sur la réglementation bancaire (vous pouvez retrouver mes posts précédents sur ce sujet).

Le Comité de Bâle comprend la FSA du Japon, la Bundesbank allemande, la Federal Reserve des États-Unis et de nombreux autres régulateurs et banquiers centraux du monde. Il s’attache à terminer d’ici à la fin de l’année ses travaux concernant le dispositif relatif aux fonds-propres des banques dans un contexte post-crise. Il suit en cela les instructions du G20, tout en s’efforçant de ne pas augmenter de manière significative les exigences en capital des banques.

Conduit par les régulateurs américains, eux-mêmes soumis à une forte pression politique intérieure, le Comité de Bâle essaie de définir réglementairement un niveau de fonds-propres des banques selon un système moins sensible aux risques, essentiellement inspiré par ce qu’on appelle «Bâle I», une série de délibérations qui eut lieu à la fin des années 80.

D’après ce que nous savons de l’état actuel des discussions, ces règles auront des conséquences très négatives pour les économies de certaines régions, comme l’Europe ou le Japon, en particulier dans le financement des entreprises ou des infrastructures.

Pas d’inquiétude cependant, les banques européennes dites « systémiques » seront en mesure de répondre aux nouvelles exigences en matière de capital, mais cela ne se fera pas sans des conséquences potentiellement extrêmement graves pour nos économies.

Presque tous les pays dans le monde sont opposés au projet, sauf les États-Unis (et peut-être le UK post-Brexit). Mais à la fin des discussions, il est très probable que le match soit, encore une foi, remporté par les États-Unis.

Parce que les États-Unis savent depuis toujours comment exercer leur influence. Ils l’ont toujours su.

Ils n’auront pas besoin d’utiliser d’armes à feu. La puissance qu’ils exercent relève du «soft power» : le concept du «soft power» a été développé par Joseph Nye, de l’Université de Harvard, pour décrire la capacité d’un pays à façonner les préférences des autres zones du monde par l’attrait et l’attraction qu’il exerce. Il n’y a pas d’armée, pas d’armes, « simplement » du lobbying et de l’influence.

Dans mon précédent post sur «Bâle», j’ai écrit « Nous sommes confrontés à des conditions de négociation très difficiles. Nous sommes deux heures après minuit par de nombreux aspects : sans un peu de courage, nous ne réussirons à rien ».

En écoutant ma charmante voisine californienne, j’ai compris que nous pouvions perdre le combat. Parce que même s’ils ont une vision commune, les régulateurs européens et japonais ne sont pas animés par une réelle volonté de se battre, celle que les États Unis ont et ont toujours eu en eux, dans tous les aspects de leur vie.

Avec un peu de chance, un miracle se produira peut-être et la partie non-américaine de la table aura le courage de refuser d’imposer aux citoyens européens ou japonais de nouvelles mesures douloureuses. Mais l’état actuel des discussions me laisse penser que nous pourrions aboutir à un cadre de type «Bâle I», inspiré des États-Unis et de sa mauvaise façon de gérer les risques, comme l’a clairement démontré la crise des subprimes de 2008.

Peut-être devrions-nous ainsi dire plutôt : un cadre «Basel DC»?


Iconographie : Le bâtiment du Capitole, à Washington DC, qui héberge le Congrès des Etats-Unis © Wikimedia Commons / Martin Falbisoner. Post publié à l’origine en anglais, et avec une illustration différente sur LinkedIn.