One Belt One Road

par | 17 Mai 2017 | Economie – Social

Cherchez l’erreur !

Le monde entier était à Pékin les 14 et 15 mai pour assister au «Forum de la coopération internationale pour une nouvelle route de la soie».

29 chefs d’Etat et de gouvernements étrangers et leurs délégations respectives, des représentants de plus de 130 pays, 70 organisations internationales …

Pour l’UE27 : les premiers ministres de Grèce, de Hongrie, d’Italie, de Pologne, d’Espagne, le président de la République tchèque. L’Allemagne était représentée par son ministre des affaires économiques et de l’énergie, la Finlande, par son ministre des transports et des communications. Pour le reste de l’Europe, le président de la Fédération de Russie, de la Suisse, le premier ministre de la Serbie, le ministre britannique des finances…

Alors, vous avez trouvé l’erreur ? Eh bien oui ! Tout juste : la France n’était pas là …

Autre chose ? Oui, vous avez encore tout juste : la Commission européenne n’a pas été officiellement invitée !

« L’Art de la guerre » est un ancien traité militaire chinois datant du 5ème siècle avant JC. Il a été attribué à un stratège militaire chinois (et philosophe d’ailleurs), Sun Tzu. Les pierres noires et blanches du jeu de Go chinois, dont l’objectif est d’entourer plus de territoires que l’adversaire, l’ont évidemment inspiré.

La seule chose qui nous sépare de l’héritage de Maître Sun est une période d’un peu plus de deux millénaires. Mais sa pensée stratégique est intemporelle, et apparaît d’ailleurs clairement dans la façon dont la Chine traite systématiquement cette initiative « One Belt One Road initiative » (OBOR) de façon bilatérale.

Le projet est tout simplement incroyable et souligne la volonté claire de la Chine d’avoir un rôle de premier plan dans le monde.

Inspiré par la Route de la Soie médiévale entre l’Europe et l’Asie, l’idée des Chinois est de construire six grandes routes terrestres et maritimes, y compris des voies ferrées, des routes, des ports et autres infrastructures. À travers deux composantes principales, terrestre avec la  «Silk Road Economic Belt» (SREB) et maritime avec la «Maritime Silk Road» (MSR), le projet représente 1 milliard de dollars d’investissements afin de relier la Chine et le reste de l’Eurasie.

 width=Credit : Chatham House

Sur le site internet dédié au projet, et dans toutes les communications officielles, la Chine dépeint le projet de manière relativement altruiste, en insistant sur les avantages mutuels, gagnant-gagnant pour toutes les parties.

De fait, les pays participants bénéficieront bien-sûr de ce projet en termes d’infrastructures et de commerce. Selon un article publié en 2016 par le groupe de réflexion bruxellois Bruegel, 63 pays (même si pas encore clairement identifiés) représentant 60% de la population mondiale et 30% du PIB mondial, pourraient être touchés d’une manière ou d’une autre par ce projet.

Le sous-investissement délibéré des pays développés dans les infrastructures depuis les années 80 a permis à la Chine de développer une forte prééminence dans les travaux de génie civil et de transport.

Mais tout cela a un coût caché : d’abord, la Chine va vendre son expertise et prêter son argent, c’est-à-dire en fin de compte injecter des capitaux propres et contrôler les participations dans ces projets. Les routes commerciales leur permettront d’accéder à de nouveaux marchés dans des petits pays. En fin de compte, la Chine pourrait, grâce à cette initiative, créer un vaste empire économique en Asie et en Afrique, y compris potentiellement avec une forte présence militaire chinoise dans ces zones.

L’Europe a par ailleurs identifié dans ces négociations des premiers indicateurs qui n’incitent guère à l’optimisme : notamment la préférence de la Chine pour négocier des arrangements bilatéraux au lieu d’avoir des discussions multilatérales, le manque de transparence dans la prise de décision, la préférence des Chinois pour négocier directement avec les élites nationales, etc.

Le 5 mai, une conférence intitulée «European and OBOR» a été organisée par le South Asia Democracy Forum, basé à Bruxelles. Certains membres du Parlement européen y ont fait part de leurs préoccupations concernant les motivations réelles de la Chine.

Le Forum de Pékin du week-end dernier se voulait une plate-forme de haut niveau pour la mise en œuvre de cette initiative dans les domaines des infrastructures, de l’énergie et des ressources, des capacités de production, du commerce et de l’investissement. Il devait également être l’occasion de conclure des accords de coopération avec des pays et des organisations internationales dans les domaines de la finance, de la science, de la technologie ou encore de la protection de l’environnement.

C’était sans compter sur l’Europe, qui a tout simplement gâché la fête …

Les membres de l’UE ont décidé de ne pas soutenir la déclaration commerciale de la Chine, parce qu’une série de préoccupations qu’ils avaient soulevées avec le gouvernement chinois n’avaient pas été intégrées dans le projet de texte.

La déclaration rejetée concernait le « livrable » d’un groupe de travail dédié aux règlements des différends auquel participaient des représentants de pays tels que la Belgique, l’Estonie, l’Allemagne, la Hongrie, l’Italie et l’Espagne. La Chine avait alors espéré que tous les États membres de l’UE, ainsi que les autres pays participant à la conférence, soutiendraient le texte, l’un des trois étant censé marquer la fin de la convention lundi.

Un résumé public de la position de l’UE sur l’initiative «Belt and Road», publiée dans la perspective du forum, a suggéré que les membres voulaient des garanties sur le caractère économiquement viable et écologiquement durable des projets, et l’assurance que ces derniers seraient soumis à des processus d’appel d’offres équitables …

Sun Tzu, reviens ! Les Européens savent jouer au Go … !


Iconographie : Detail d’une carte nautique catalane, représentant l’Asie au 13ème siècle et une caravane empruntant la route de Marco Polo.