Post d’été : relire Zweig

par | 8 Août 2016 | Art – Littérature

Le 22 février 1942, après avoir fait ses adieux et laissé ses affaires en ordre (il laissa même un mot concernant son chien, confié à des amis), Stefan Zweig mettait fin à ses jours en s’empoisonnant au Véronal, un puissant barbiturique. Ce geste, il le fit en compagnie de Lotte, refusant de survivre à son compagnon.

Du Brésil où ils s’étaient réfugiés, il venait tout juste de faire parvenir à son éditeur son hymne à la culture européenne, qui serait publié deux ans plus tard sous le titre «Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen» (German title « Die Welt von Gestern : Erinnerungen eines Europäers »). Il y revenait sur les principales étapes de son existence, offrant son témoignage à ce monde en destruction, comme s’il souhaitait laisser une trace de cet hier qu’il avait tant aimé.

C’est l’été, et il est bon de lire Musso. Mais il faut relire Zweig, l’européen :

« Né en 1881 dans un grand et puissant empire […], il m’a fallu le quitter comme un criminel. Mon œuvre littéraire, dans sa langue originale, a été réduite en cendres. Étranger partout, l’Europe est perdue pour moi… J’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison […]. Cette pestilence des pestilences, le nationalisme, a empoisonné la fleur de notre culture européenne »

Que n’a t’on dit du coup sur ce suicide «politique» ! Et comment ne pas être saisi par la tentation d’y revenir, en regardant cette Europe qui nous désespère.

Mais ceux qui voient dans sa mort un geste politique ne l‘ont pas lu, ce n’est pas possible ! Ou bien alors, ils n’ont rien connu des douleurs et chagrins d’une existence !

Dans son message d’adieu, Zweig écrivait : « il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. Aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.
 Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux.»

Plus encore qu’aujourd’hui, un amoureux de l’Europe et de la paix ne pouvait que désespérer de son époque. Sans doute la situation du monde en 1942 a t’elle contribué à sa dépression… Mais dans son mot, Zweig n’en parle pas: il ne parle que de lui en vérité, et c’est ce qui est si touchant parce que si essentiel: «recommencer sa vie de fond en comble» écrit-il.

Pas beaucoup de politique dans cela ! Mais le désespoir d’un homme, obsédé jusqu’à en étouffer par l’inéluctable passage du temps et par son échec à renouveler sa vie: ce moment où dans la nuit, on ne croit plus à la «promesse de l’aube», pour reprendre le beau titre de Romain Gary.

Ceux qui voient dans la mort de Zweig un geste politique n’ont peut-être pas lu ce message limpide…

Mais au moins, devraient-ils lire ou relire ses nouvelles: ces histoires de passion intense pouvant aller parfois jusqu’au morbide ou à la folie. Je pense à «Amok», à «La Confusion des sentiments», à «Vingt-quatre heures de la vie d’une femme», certainement ma préférée, au «Joueur d’échec» aussi. Et plus encore, je pense à cette nouvelle, redécouverte à l’heure chaude tout à l’heure, au son des cigales: «Lettre d’une inconnue».

Comment ne pas voir dans cette nouvelle là en particulier la vérité de Stefan Zweig et de sa mort: l’étouffement d’un désir ne trouvant pas sa réponse.

Il faut donc aussi relire ce Zweig là: pas pour désespérer, puisqu’il y a les cigales ! Mais pour partager à distance avec lui nos épreuves, ces moments qu’il nous faut parfois traverser, où l’on croit ne plus pouvoir respirer de l’éveil au coucher tant on se sent enserré comme dans un étau par le chagrin ou le doute.

Et pour le beau témoignage d’un homme qui, à la maturité, s’il a échoué à renouveler sa vie, et s’il y a finalement renoncé, a au moins essayé.

Comme l’écrit joliment Henri Miller: «à quoi servent les livres s’ils ne ramènent pas vers la vie, s’ils ne parviennent pas à nous y faire boire avec plus d’avidité».

Il faut relire Zweig: tant mieux, c’est l’été !


Iconographie : Chênes truffiers dans la Drôme, France, 7 Août 2016, collection personnelle. Post publié à l’origine sur LinkedIn.